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À la Rencontre de Tripoli, Liban

De loin, elle m'intrigue.
Elle attise ma curiosité depuis longtemps.
De loin, je la perçois comme un laboratoire de vies. Une cité grouillante, affaiblie mais forte, dans laquelle les chiffres se bousculent. 18 religions, 104 ONG, des milliers de camps de réfugiés.
De loin, elle m'impressionne.
Qui est Tripoli aujourd'hui?

Je l'observe mal depuis l'Europe. Je l'idéalise. La caricature. Elle est floue et je veux y voir plus clair. Tenter de la comprendre car je crois voir en elle un peu de notre Monde. Ses multiples communautés, ses conflits, ses hommes, ses espoirs.
Je pars avec cette quête : ne pourrait-on pas observer à Tripoli les principaux traits de notre Histoire passée et à venir ?
Je vais devoir me dégager de cette idée. Elle constitue peut-être cette salle d'expérimentations malgré elle. Mais avant de penser la cerner, je dois m'approcher de ces visages qui la composent.

Ces visages, je les ai déjà vus pour certains. Par Skype, What's App car Internet est partout ici. Les autres, je les ai imaginés.
Aujourd'hui, je les rencontre enfin. Tous racontent leur Tripoli. Leur histoire avec elle. Parviendrai-je à les entendre, les écouter, les comprendre?
Sunnites, Chiites, Alaouites, réfugiés syriens, palestiniens et Libanais, athés, musulmans et chrétiens. Est-ce moi qui pose des mots sur ces communautés ou ont-ils une réalité dans les rues de la ville? Ces communautés, vivent-elles cote à cote ou ensemble?

Les conflits sont derrière. Mais tout près, juste à côté. Sur les façades d'une épicerie de Syria Street portant les stigmates des tirs de kalachnikovs, sortant de la bouche d'Hamad dans un coin de rue de Jabel Mohsen, dans les rapports écrits du Lebanon Crisis Response Plan (LCRP).
La reconstruction est en route. Mais quelles directions emprunte-t-elle? Elle se dessine sur les plans d'architecture d'Aboodi , dans les épiceries de Jabal Mohsen, au sein de l'ONG de Tony.

Tripoli, es-tu fragmentée ou unie?

 

Tony ou l'ONG système D

Un camp de réfugiés syriens. 20 km au Nord de Tripoli. Il est 16 heures, l'air est sec, le vent chaud. Avec Adrien, nous avons atterri quelques heures auparavant. Nous sortons nos caméras pour la première fois. Fébriles et curieux.
Après des mois d'échanges virtuels, je vais rencontrer mes interlocuteurs de Tripoli.
Tony. Notre premier contact sur place. Il ne tient pas en place. Tony, Ecossais de 28 ans : l'hyperactivité et la débrouille, c'est lui.
Il me propose de le suivre dans ses activités liées à son ONG Mishware.
Tony m'explique les différents projets mis en place dans ce camp.
Mais Tony n'a pas le temps d'attendre. Les enfants syriens ne sont pas scolarisés ? Il occupe une école vide durant l'été où il encadrera un groupe de filles et garçons avec l'aide de son ami Aboodi, réfugié palestinien.
Un chant syrien, le dernier film qu'ils ont pu voir, ce qu'ils feront plus tard. Quelques rires et un prochain rendez-vous pris. L'échange est informel. Réel.
Certaines filles portent le voile, les plus jeunes pas encore. Elles en parlent : c'est la tradition, c'est comme ça, disent-elles en riant. Les enfants regagnent le camp.
Tony a du mal à attendre les autorisations, les subventions, l'aval des institutions. Il travaille avec ou sans elles. Il veut rester dans l'action.
Il constate. Certaines ONG sont référencées par Lebanon Crisis Response Plan (LCRP). Elles peuvent alors prétendre à l'obtention de financements par l'Etat selon les projets. Mais ce jour-là, il est furieux car pour ce camp de réfugiés syriens, la LCRP vient de supprimer le programme d'aide alimentaire.
Tony est dans le concret. Avant de repartir, il montre sa dernière trouvaille aux hommes du camp. ll leur a dégoté un vieux van à réparer. Un groupe de Syriens s'y attèlent, le van sera bientôt en état de marche.

Tony's Van Une école improvisée et un vieux camion pour aller chercher les enfants, L'ONG de Tony : Mishwar.org Aboodi's Children Aboodi tente d'animer les longues journées des enfants syriens (qui n'ont pas accès à l'éducation public du Liban).
 

Aboodi ou l'espoir palestinien

Camp palestinien de Nahr el-Bared. Nord de Tripoli. Aboodi m'invite chez lui ce soir. Il habite dans ce camp. Un camp sans grillages apparents ni portes d'entrées et sorties. Le camp est bel et bien un territoire à part du Liban. Un Etat dans l'Etat. Dedans, une police interne. Dehors, des droits restreints par rapport aux Libanais.
Tony ironise sur la situation de son ami. Aboodi fait des études d'architecture mais n'aura jamais le droit d'exercer sur le territoire libanais.
Mais Aboodi espère. Comme tous les Palestiniens de Nahr el-Bared. Ce soir, réunis autour d'une table, le silence règne. Aboodi et sa famille sont tristes. L'un des leurs s'est enfui. Où ? Vers l'espoir. Ils ont reçu un coup de fil avec l'indicatif espagnol en fin d'après-midi.
A table, un de leurs amis, un Palestinien âgé de 60 ans espère lui aussi. Il déclare qu'il partira un jour. Il peut ainsi rêver retourner en Palestine. Il peut ainsi trouver la force de se lever le matin.

  • Entrée du camp Nahr El Bared (NLB)
  • A l'intérieur du centre social du camp NLB
  • Dans le centre social, des affiches politiques palestiniennes
  • Cours de chant palestinien
  • Sans rien dire, un enfant se lève et se met à chanter
  • Un enfant chante une chanson palestinienne
  • Des fillettes chantent un champ palestinien à leur tour
  • D'autres enfants plus timides me regardent en silence
  • D'autres enfants plus timides me regardent en silence
  • Ghannam nous accueille au camp NLB
  • Visite du camp avec Tarek et Ghannam
  • Une rue du camp de Nahr El Bared (NLB)
  • A l'intérieur du camp NLB
  • Un graffiti palestinien
  • Des femmes palestiniennes
  • L'entrée d'une des écoles du camp
  • L'électricité au camp
  • Des générateurs privés prennent le relais des coupures de courant
  • Les réfugiés palestiniens syriens
  • Des maisons de métal
  • Réfugiés pour la deuxième fois
  • On les appelles les doubles-réfugiés palestiniens
  • Certaines rues sont improvisées entre deux containers
  • Avenue principale de Nahr EL Bared
  • La rue principale du camp
  • Des amis de nos hôtes s'arrêtent pour nous saluer
  • Un café, un billard, un garage, nous nous posons un moment
  • Deux ados arrivent au café
  • Nous nous posons à un café, on nous rejoint
  • Tout le monde ici possède un smart-phone
  • Tarek nous accueille au camp NLB
  • Le soleil n'éclaire plus qu'un côté de la rue principale du camp
  • Des projets immobiliers au camp palestinien
  • Le minaret du camp Nahr El Bared
  • Une vieille Mercedes sans doute encore utile
  • Un magasin de vêtements au camp NLB
  • Rue Marchande au camp
  • Notre visite s'achève presque
  • Devant le centre social palestinien
 

Devant l'épicerie de Muhamad

Quartier de Jabal Mohsen, centre de Tripoli. 14 heures.
J'aperçois un groupe de personnes devant un commerce de rue.
Hamad est le gérant. Entouré de ses enfants, il trône en patriarche et souhaite me montrer son épicerie, une porte de garage s'ouvrant sur des étagères exposant des produits alimentaires. Je prends une chaise et m'assois avec les siens. Je sais que Hamad est alaouite. Je le sais car cette communauté est concentrée dans Jabal Mohsen. C'est un fait.
Et alors ? Me dit-il. Oui il vit ici mais à quelques centaines de mètres seulement, il y a la communauté sunnite de Bab el-Tebbaneh.
J'évoque les derniers affrontements. Derrière nous, une façade est criblée d'impacts de balles. Depuis 2006, des conflits rythment de manière macabre la vie de Jabal Mohsen où résident des habitants alaouites et Bab el-Tebbaneh, la communauté sunnite. Les deux quartiers sont accolés et au milieu coule Syria Street. Sur les 10 derniers années, plus de 200 morts.
La gestuelle et la voix de Hamad s'amplifient. Pour lui, ce conflit, c'est le résultat d'un mélange de stupidité et de misère. Pour 100 dollars et une kalachnikov, certains ont accepté d'aller tirer sur la communauté d'en face. Certains l'ont fait. Hamad lui a refusé.
Ces 100 dollars, Hamar les gagne en une semaine quand il part sur les chantiers, au Qatar. Hamad ne veut plus revivre ces conflits. Tous vivent ensemble selon lui. Et en paix.
Il ne veut pas définir les Alaouites comme soutenant le gouvernement syrien en opposition aux Sunnites. Pour lui, ces oppositions géopolitiques ne reflètent pas la réalité du quartier.
Il ne veut plus du tout en parler d'ailleurs.
Il évoque le chômage. Difficile de trouver du travail à Tripoli. Alors, en plus du petit commerce, il y a le Qatar. Une fois par an il part travailler sur des chantiers. 2000 dollars les deux mois. De quoi faire vivre la famille et permettre aux enfants d'étudier au lieu de travailler à l'épicerie.

Ali et Muhamad Le quartier de Jabal Mohsen a été en conflit à plusieurs reprises avec le quartier adjacent de Bab El Tebbaneh.
 

Issa : sourire et marketing

Quartier Jabal Mohsen. 14 heures. Issa m'attend dans les locaux de l'ONG Ruwwad. J'aime son sourire et son regard. Issa me parle avec ferveur de ses projets professionnels. Une fois son diplôme d'ingénieur en poche, il souhaite monter sa société. Il raconte ses nouveaux amis français, américains, anglais. Et les anciens. Ceux du quartier. Il est un peu gêné. Oui ils les voient toujours mais il avoue, ils se perdent un peu de vue.
Jabal Mohsen c était son terrain de jeux. Le quartier l'a vu grandir et lui promettait un avenir tout tracé : vendeur de rue. Mais il croise la route de Sara, fondatrice de l'antenne de l'ONG Ruwwad à Tripoli.
Sara lui propose un deal. Il s'occupe des activités bénévoles de l'ONG. En échange, Ruwwad finance la totalité de ses études d'ingénieur. Jusqu'au diplôme.
Cet après-midi là, Issa accueille des femmes en situation précaire.
Demain matin, il ira en cours.
Bientôt, il lancera sa société.

 

Femmes syriennes : la solidarité chrétienne

Akbar Green Libanese bakery. 17 heures. Je pousse la porte d'une pâtisserie de Tripoli. Un boulanger libanais travaille avec application une boule de pâte sous le regard d'une dizaine de femmes voilées. Elles sont toutes réfugiées syriennes. Caritas, ONG chrétienne leur a proposé cet atelier. Elles vont travailler une recette de gâteau fourré. Une pâtisserie qu'elles connaissent bien. Il existe une version légèrement différente en Syrie.
Cet après-midi là, elles comparent et échangent leurs recettes avec ce boulanger aux gestes méticuleux.

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